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Interview exclusive avec Sophie Vandebroek (CTO, Xerox)

 

Près de 45% des documents que les gens impriment quotidiennement finissent dans la poubelle dans les 24 h. Une gestion de documents totalement inefficace. Cela fait pourtant de nombreuses années que des entreprises comme Xerox sont à la recherche de solutions efficaces et respectueuses de l’environnement en vue de maîtriser le flux d’informations grossissant. L’essence de tout cela? L’innovation. “Et innover ne veut pas dire commercialiser un produit qui est nouveau et cool, comme le pensent beaucoup de gens”, souligne Sophie Vandebroek, CTO chez Xerox. “Il doit vraiment faire une différence pour le client.” Dans cette interview exclusive, Sophie Vandebroek nous parle notamment du caractère innovant de Xerox et de l’avenir de la gestion de documents.

Düsseldorf, par un mardi matin gris du mois de mai. Drupa, la grand-messe de l’industrie graphique, démarre bientôt et je me prépare pour une interview exclusive avec Sophie Vandebroek, Chief Technology Officer chez Xerox, et belge. C’est vrai, je suis stressée, mais ce stress disparaît complètement dès que S. Vandebroek entre toute souriante dans la salle de réunion improvisée. C’est une dame extrêmement aimable, qui s’exprime d’emblée dans son meilleur néerlandais. Et bien qu’elle habite depuis 22 ans aux USA, elle y arrive haut la main.
2007 fut une bonne année pour Xerox. La société a reçu la US Medal of Technology 2007 des mains du président Bush, en reconnaissance de ses nombreuses années consacrées à l’innovation. Et elle a réalisé un chiffre d’affaires de 17,2 milliards de dollars.

 

17,2 milliards de dollars, c’est un beau résultat. Quel est votre secret?
Je pense que différents éléments interviennent. Quand notre nouveau CEO, Anne Mulcahy, a repris les rênes en 2000, elle a modifié l’équipe de gestion et la société. Elle a en outre essentiellement mis l’accent sur les services. Nous nous focalisons maintenant principalement sur l’application de lean sig sigma dans toute l’entreprise afin d’augmenter la productivité de manière significative. Et, comme c’est le cas depuis des dizaines d’années, nous avons un robuste portefeuille de produits et de services. Au cours de ces trois dernières années, nous avons renouvelé 95% de tous nos produits et services. 

Xerox a entre-temps fait de ce caractère innovant sa marque de fabrique. Où continuez-vous à puiser votre aspiration?
Pour savoir ce que le client veut, nous organisons des ‘dreaming sessions’, durant lesquelles nous essayons d’identifier les problèmes que rencontre le client: ‘que trouvez-vous le plus frustrant?’, ‘qu’est-ce qui vous donne le plus de fil à retordre?’. Lorsque nous avons identifié et compris les points épineux, nous pouvons développer de meilleures technologies et produits qui apportent une solution. Il importe ici que le produit fasse une différence, ce qui nous aide à être significativement meilleurs que nos concurrents. Nous disposons en outre d’anthropologues dans nos centres de recherche, qui se rendent chez le client et observent sa façon de travailler. Mais vous devez encore aller beaucoup plus loin. Vous devez oser penser out of the box.

 

Et quelles sont les innovations que vous voyez notamment percer dans le futur?
Il y a une foule d’idées qui sont développées. Nous planchons actuellement sur un projet de recherche dans le cadre duquel on utilise un matériel qui fait disparaître l’encre. Si vous l’utilisez sur du papier, vous pouvez réutiliser le papier à l’infini étant donné que l’encre a disparu en 24 h. Il faut en effet savoir que la plupart des frais proviennent de la fabrication du papier. Lorsque l’on examine le cycle de vie d’un imprimé, 45% des documents que les gens impriment finissent dans la poubelle dans les 24 h. C’est cela qui engendre la majorité du carbon footprint et des coûts. Il y a donc une belle opportunité de trouver une solution réduisant le gaspillage et respectant l’environnement.
Un autre défi consiste à diminuer le gaspillage de papier. En 1975, on disait que le paperless office allait faire son apparition, mais plus de 30 ans après, nous en sommes au network office et les impressions ont augmenté de 40%. En Europe, nous consommons 250 kilos de papier par personne par an et 350 kilos aux Etats-Unis. Cela fait beaucoup de papier par personne. Cette quantité baisse toutefois de 10 à 20% par an, principalement dans les pays développés, mais en Chine, 50 kg de papier par personne par an, elle augmente de 20% chaque année. L’un dans l’autre, nous nous attendons à ce que la demande de papier augmente encore dans les cinq prochaines années. Donc, au lieu de consommer moins de papier, on imprimera beaucoup plus. Nous cherchons à réduire au maximum l’utilisation du papier.

Et comment vous y prenez-vous précisément?
Notamment grâce à nos technologies ‘smart document’. Ces technologies confèrent automatiquement une intelligence aux documents leur permettant de comprendre le contenu. Exemple: dans un procès, 90% des documents sont souvent sans importance et avec l’aide de l’intelligence automatique, les documents sont automatiquement triés selon leur pertinence. De cette manière, les avocats ne doivent lire que les informations pertinentes. Mais outre la catégorisation, il est aussi possible de rechercher des faits, par exemple: ‘quand la personne X a-t-elle vu la personne Y et où?’ ou de retrouver directement la bonne information dans un gros dossier, dans lequel les informations privées sont rendues illisibles pour toute personne n’étant pas habilitées à accéder à ces informations. Toutes ces technologies intelligentes sont aujourd’hui utilisées dans des secteurs verticaux (legal, financial institutions) afin de trouver rapidement ce que vous cherchez. Pour retrouver rapidement les bonnes données numérisées concernant un patient dans les hôpitaux, par exemple. Si vous ne devez plus imprimer que les documents pertinents, cela économise le papier.

 

Cela semble bien beau en théorie, mais une machine ne raisonne pas encore comme un homme. La marge d’erreur n’est-elle pas énorme, comme c’est le cas dans la traduction automatisée?
Il s’agit de machine learning, mais vous devez continuer à entraîner le logiciel. Et vous prévoyez des marges, car la rédaction intelligente concerne des données privées et doit donc être correcte à 100%. Et si le logiciel doute, il affiche un drapeau rouge signalant qu’une personne doit impérativement vérifier le fragment. Le client a également la possibilité de définir la marge d’erreur et peut ainsi exercer un certain contrôle et éventuellement intervenir lui-même.

Dans le R&D, ressentez-vous fortement les effets de la crise économique actuelle?
Non, car dans ce département, on ne ressent pas les soubresauts économiques. Tout ce sur quoi je travaille dans le R&D concerne les dix prochaines années. En outre, nous réalisons plus de 50% de notre chiffre en dehors des Etats-Unis. Moins de 1% provient du secteur financier, et plus de 70 à 75% proviennent de revenus non transactionnels. Dans notre services business, nous concluons par exemple des contrats de cinq ans pour les clients pour que cela soit plus productif. C’est beaucoup plus stable en cas de fluctuations à court terme.

Encore une dernière question: que représente encore pour vous la Belgique après 22 ans?
Elle représente encore et toujours la maison. C’est là que je suis née, c’est là que sont mes racines. Mais c’est un point douloureux. J’ai en effet été obligée de prendre la nationalité américaine en raison de la situation concernant le décès de mon mari. Ce que j’ai fait. Mais je regrette amèrement d’avoir dû renoncer à ma nationalité belge. Je suis et je me sens belge, dans mon cœur et dans ma tête. Et je dis donc à mes enfants que nous rentrons à la maison, une ou deux fois par an.

 

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